Macramé (1985)

Laurent Vaillancourt comme fibriste et l’influence du théâtre dans Les diadèmes de la cour du roi Gâzé 1er (1980)

Laurent Vaillancourt et sa sœur Louise vêtus de Hommage aux quenouilles en 1978.

Dans les années 1980, Laurent Vaillancourt procède, à titre de président, à une refonte du Conseil des arts de Hearst, pour que la communauté y soit représentée. Plus tard, il collabore avec la Galerie du Nouvel-Ontario (GNO) de Sudbury, qui réunit les artistes visuels francophones œuvrant en art actuel en Ontario. Née en 1974 de la Coopérative des artistes du Nouvel-Ontario (CANO), la GNO élargit ses activités et devient, en 1995, un centre d’artistes autogéré. Grâce à des subventions gouvernementales et surtout à l’enthousiasme de nombreux travailleurs du milieu culturel, dont Vaillancourt, la GNO a pu recueillir le soutien d’une grande communauté d’artistes multidisciplinaires et se tailler une place importante pour accueillir les artistes franco-ontariens du Nord.

En janvier 1985, la Galerie 815 de Hearst consacre à Laurent Vaillancourt une première grande exposition, puis la Galerie du Nouvel-Ontario répète l’expérience l’année suivante (mai 1986), à Sudbury. Cette fois, Laurent Vaillancourt rédige un catalogue intitulé Macramé 1972-1984…, aujourd’hui indispensable à la compréhension de son œuvre. Le macramé était encore à ce moment-là la technique qu’il privilégiait.

Cette exposition porte sur les œuvres créées entre 1972 et 1984. Laurent Vaillancourt présente des objets portables (ses sculptures), des « wearables » qui se veulent une sorte de prolongement du corps humain et qui ont le pouvoir de le transformer : Veste au gant, Veste à queue, L’bossu, entre autres. Quelques bribes du catalogue expliquent et révèlent les sensations provoquées par certaines pièces lorsqu’elles sont portées. Dans le cas de l’œuvre intitulée Chapeau !, une perruque tressée est accompagnée d’une ligne de texte disant qu’il s’agit de donner la sensation d’avoir les cheveux longs. L’absence du corps et la suggestivité peuvent avoir un effet prodigieux. Le regard permet d’imaginer un scénario et au bout du compte, l’intention de l’artiste.

Le catalogue de l’exposition contient un grand nombre des œuvres présentées à la Galerie 815 de Hearst, photographiées par Guy Prézeau en vue de l’exposition à la GNO l’année suivante à Sudbury. Les œuvres photographiées se transforment en élégantes reproductions bichromatiques. Dans le catalogue, les projets sont classés par thèmes. On y retrouve en outre des observations sur la malléabilité de la matière et les limites de son expressivité. Là, quelques œuvres montrent les possibilités qu’offre le macramé avec l’ajout d’autres matériaux, dont la suspension d’objets tridimensionnels et aussi le port d’objets ayant pour effet de transformer le corps. Des textes concis, de type haïku de Paul Doucet, accompagnent les créations expérimentales. Ce sont de courtes explications scientifiques du processus ou bien des descriptions plus poétiques.

Cette « rétrospective » de 1985 explore donc l’étrangeté de la matière familière qu’est le macramé, cette matière que Vaillancourt travaille au-delà des limites physiques des méthodes traditionnelles, voire au-delà des techniques habituelles de la sculpture. Il affirme que le macramé, comme la sculpture, englobe deux concepts fondamentaux : l’addition, la réduction.

En plus d’insister sur le texte et la narration, composantes essentielles de son travail, Laurent Vaillancourt choisit des techniques et des matières non traditionnelles. Par ses créations textiles, il se démarque de certains artistes et commissaires des années 1960 et 1970, pour lesquels le macramé est relégué au domaine des métiers d’art, voire de l’artisanat.

À l’époque, l’art textile était en effet très controversé, comme il l’est toujours. On lui attribuait une esthétique se rapprochant davantage de l’artisanat ou d’un simple passe-temps. Tant les galeries que les boutiques d’artisanat refusaient le travail de Laurent Vaillancourt, qui se situait dans les franges des arts visuels et des métiers d’art à la fois. Où et comment montrer cette œuvre si écartelée ? Or, en 1979, Laurent Vaillancourt avait visité la neuvième Biennale de la tapisserie de Lausanne, en Suisse, où il avait vu l’art textile exposé sur un pied d’égalité avec les autres disciplines des arts visuels. Après cette découverte, il rencontra l’une de ses mentors, l’artiste visuelle Aurelia Muñoz (née en 1926), qui l’avait encouragé à explorer l’espace, les volumes et les possibilités d’installation auxquels la « Nouvelle Tapisserie » pouvait ouvrir la voie. L’infusion des matériaux dans le volume et l’éloignement par rapport à des usages utilitaires ont pour effet de neutraliser la stigmatisation qui cantonnait la discipline au domaine des arts décoratifs. Laurent Vaillancourt décontextualise donc la matière pour mettre en valeur sa spécificité, d’où l’observation et l’appréciation d’une autre esthétique. Parfois, Laurent Vaillancourt s’écarte de cette stratégie lorsqu’il veut rendre hommage à l’histoire pour transmettre un message personnel et culturel. Ses œuvres, en particulier les objets portables, glorifient l’emploi utilitaire de la matière, d’autant plus qu’il y ajoute de nouvelles fonctions (en particulier, le pouvoir de transformer le corps qui les porte) et les présente (à l’occasion) comme des créations scientifiques.

Les galeries d’art contemporain, ainsi que les artistes contemporains, doivent faire preuve de doigté dans la manière de présenter leurs œuvres. Il faut user de bon sens face aux démarches artistiques qui peuvent ou non se retrouver sur les murs d’une galerie ou dans un catalogue. Effectivement, en se laissant librement découvrir, interpréter et discuter, les œuvres d’art peuvent rapprocher des communautés, par le dialogue et le partage des expériences. Laurent Vaillancourt mise donc sur le libre discours que suscitera d’une matière familière accessible, la fibre, à l’intention d’un vaste auditoire.

Le catalogue de l’exposition Macramé met en valeur la grande place qu’occupent les essais et l’expérimentation dans l’exécution. On y constate de nombreuses influences culturelles, celles de la mythologie grecque et du théâtre, ainsi que des allusions à la nature et à la mode. L’artiste y est aussi présenté comme ayant la capacité d’élaborer de nouveaux mythes, de nouvelles histoires. De toutes les expériences étranges et étonnantes de l’exposition Macramé, une œuvre se démarque des autres, parce qu’elle évoque le théâtre populaire italien d’improvisation avec ses classiques personnages — une technique souvent utilisée pour la formation en théâtre — Les diadèmes de la cour du roi Gâzé 1er.

Cette œuvre, qui date de 1980 et comprend six serre-têtes en macramé disposés en forme de croissant, raconte une histoire, celle du monarque Gâzé 1er et sa cour. Des diadèmes reposent sur d’anonymes têtes veloutées. Faits d’une matière textile synthétique, éclatante et colorée, ces macramés ressemblent à d’étranges chapeaux ou coiffures aux formes organiques et orientalisantes. Devant, se trouve le texte qui raconte l’expulsion d’un chef provoquée par le soulèvement de son peuple suivi d’un chaos (ci-contre). Cette histoire parle d’archétypes familiers : un roi, son loyal conseiller, un médecin malicieux, une princesse, sa gouvernante et son amant, le troubadour. Un court récit décrit leur parcours semé d’embûches et la maladie qui les afflige en cours de route. Au milieu du récit, le ton change, l’artiste devient narrateur. Il prétend que les personnages ont communiqué avec lui par télépathie pour lui demander de leur livrer des tuques de laine qui pourraient les guérir, les sauver. En échange de ses services, il a reçu comme récompense les diadèmes — présentés à l’exposition.

Ici, la performance n’est pas apparente, bien que la trame de l’histoire soit plus ou moins présente. En effet, le texte incite aussi l’auditoire à imaginer l’œuvre, à partir d’une description qui s’apparente à un conte de fées. L’auditoire l’éclairera de son propre vécu. En replaçant l’œuvre dans le contexte de l’époque, on fait le lien avec l’émergence de l’épidémie du sida dans les années 1980. Les personnages tombent malades à cause d’un « germe flou » transmissible, qui les isole du reste de la société. La maladie peut être évitée grâce au port d’une tuque, allusion à l’usage protecteur du condom. Le flou du texte rend toutefois possibles diverses interprétations, associées au problème persistant de l’exclusion sociale et à l’importance de la compassion. L’artiste a créé les chapeaux en vue de les prêter à une troupe de théâtre, pour que d’autres puissent donner vie à ses personnages, comme dans la tradition de la Commedia Dell’Arte, en inventant des histoires particulières pour chaque comédien, à chaque représentation.

Les artéfacts extraordinaires de Vaillancourt construisent une histoire évoquée par l’aspect visuel classique du personnage. Les six « tuques nouées » n’ont pour ainsi dire de signification que celle qui nous est transmise par un texte. Au théâtre de la Commedia Dell’Arte, les masques sont très importants puisqu’ils transforment les acteurs qui les portent en personnages. En effet, les acteurs apprennent tôt les caractéristiques de chaque rôle, ce qui leur permet d’improviser facilement. Quant à lui, Laurent Vaillancourt crée sa propre version de la Commedia pour diffuser un message sur les grandes questions de l’heure. C’est ainsi qu’évoluera son expression artistique : il propose un instrument de découverte s’inscrivant toujours dans un processus de questionnement.

Un tel questionnement est d’actualité dans les musées et les galeries. Il est souvent provoqué par l’artiste contemporain qui se sert de ce qui est anodin, préfabriqué ou, comme ici, de matériel d’« artisanat ». Laurent Vaillancourt insiste ainsi sur le contexte des objets exposés. En fait, c’est le récit raconté à travers ces objets qui a de la valeur. On percevra dans les œuvres suivantes de Vaillancourt le potentiel narratif des objets de tous les jours. Même si on reconnaît bien l’artiste dans cette œuvre, et donc sa réalité et son héritage, l’ambiguïté qui se dégage donne à sa réflexion un ton universel. En nous y associant, il favorise l’introspection. L’œuvre sert de lentille à travers laquelle les spectateurs projettent leur propre expérience et tirent leurs propres conclusions, à partir de leur propre identité et de leur propre vécu.

Dans Macramé, le recours à une technique ordinaire, le macramé, a pour effet de rendre l’art plus accessible et donc la galerie d’art plus approchable, plus invitante, puisque le public connaît bien cet art de la fibre : une technique accessible qui favorise la communication de messages complexes. Ces derniers peuvent facilement sembler pertinents à n’importe quel auditoire en raison de leur ambiguïté et de la place qu’ils laissent à la projection. Cette pratique crée ainsi un espace de réflexion pour les visiteurs des lieux d’exposition et par extension, elle contribue à rassembler les Franco-Ontariens et la culture franco-ontarienne. Depuis, Laurent Vaillancourt a abandonné la technique du macramé, mais il a continué à insister tout au long de sa carrière sur la transparence du processus créatif. Ses œuvres ultérieures témoignent d’ailleurs de l’importance d’y inclure la narration et d’autres formes de contextualisation.

Suite de l’exposition, ci-dessous

Le catalogue de l'exposition

Copyright © 2020 Édition BRAVO (Bureau des regroupements des artistes visuels de l’Ontario), Ottawa, Ontario, Canada. www.bravoart.org www.mavof.org (800) 611-4789

ISBN 978-1-9995627-1-7

Laurent L. Vaillancourt, À la confluence de l’art conceptuel et d’un nouvel Ontario par Gabrielle-Louise Noël augmenté par Yves M. Larocque. Traduction de l’anglais : Laurent Vaillancourt a Contemporary Francophone Artist in a Changing Ontario (mémoire de maîtrise, Université York, Toronto). Traduction Dominique Leduc, Marion Bordier, Yves M. Larocque et Geoffrey Gurd. Mise en page Walk the Arts. Imprimé à Gatineau (QC) au Canada par lmprimerie du Progrès.

Catalogue disponible à Commandez ici https://www.blurb.com/b/9863814-laurent-vaillancourt-la-confluence-de-l-art-concep

Bibliographie

MAVOF

Le MAVOF - Musée des arts visuels de l’Ontario français voit le jour en 2006. Il est l’unique musée sur les arts visuels et médiatiques des artistes francophones de la province de l’Ontario au Canada.

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